La loi sur l'industrie verte va-t-elle réduire la participation citoyenne ?

Le 23 octobre 2023

Les députés et les sénateurs français ont donné leur aval au projet de loi relatif à l'industrie verte. Ce texte vise à accélérer le développement de l'industrie décarbonée en France en facilitant l'implantation d'activités dans des secteurs jugés clés tels que les batteries, les pompes à chaleur, l'éolien, les panneaux solaires et l'hydrogène. Lambition de l’État est de faciliter la réalisation de ces projets sur le territoire national et de rendre la France attractive par rapport à ses voisins dont les délais de délivrance des autorisations est plus court comme le soulignait le rapport Guillot. Pourquoi pas ! Cet engagement passe, en théorie, par la réduction de manière significative des délais de délivrance des autorisations, passant de 17 à 9 mois, une vraie gageure sur le terrain en l’état actuel de l’Administration tant en matière de moyens que d’organisation.

Une des idées communément reçues étant que « la concertation prend trop de temps », le risque est naturellement que la phase participative soit « vite fait, mal fait ». Pourtant, les ministres en charge du dossier assuraient lors de sa présentation que « le projet de loi vise (…) à accélérer les procédures administratives et à améliorer la consultation du public. »

Nous connaissons désormais le texte définitif et, sauf censure partielle ou réserves dinterprétation du Conseil constitutionnel, il est possible de faire un point sur les conséquences du texte sur notre métier : accompagner les porteurs de projets industriels dans leurs démarches dinformation et de concertation.

Voici les quelques points majeurs du nouveau dispositif :

 

Deux phases au lieu de trois

Le projet de loi apporte une innovation significative dans le processus de consultation du public pour les demandes d'autorisation environnementale. Les deux phases de concertation et d’instruction des demandes dautorisation environnementale se dérouleront en même temps. Cette parallélisation faisait l’objet des propositions du rapport Guillot pour réduire les délais administratifs.

Dès que le dossier de demande dautorisation environnementale est reçu, un commissaire enquêteur ou une commission denquête est nommé par le Tribunal Administratif pour assurer la « consultation" sur le projet « en même temps ». Nous passons ainsi dun format à trois phases (instruction, consultation du public, décision) à deux phases (instruction et consultation du public, décision) pour la procédure de délivrance des autorisations environnementales.

De fait, toutes les données ne seront pas connues au moment de la participation du public. Ainsi les avis des services et des personnes publiques consultées et notamment celui de l’Autorité Environnementale   ne figureront pas au dossier à l’ouverture de la consultation. L’avis de l’AE est une pièce clé pour le public vis-à-vis de la compréhension du projet et de ses enjeux. Sa mise à disposition au fil de l’eau de la consultation est un changement important de posture vis-à-vis de la participation.

On peut toutefois noter que l’étude dimpact, elle, sera disponible dès le démarrage de la phase de « consultation ».

 

Une nouvelle version des enquêtes publiques ?

Les rédacteurs du projet de loi ont fait le choix de proposer une nouvelle procédure de participation du public propre aux autorisations environnementales. A côté des mises à disposition, des simples consultations, des participations du public par voie électronique (PPVE) et des enquêtes publiques, une nouvelle « consultation » du public, ressemblant en beaucoup de points à une enquête publique environnementale, va faire sa place dans les dispositifs participatifs réglementaires.

Cette nouvelle procédure fonctionnera de la manière suivante :

Un commissaire enquêteur ou une commission d'enquête est désigné par le Tribunal administratif ainsi que des suppléants.

Le public est informé du projet et de l’enquête publique sans changement par un avis mis en ligne, par un affichage en mairie et sur les lieux concernés, par une publicité légale.

La durée est étendue : La période de consultation sera de trois mois, contrairement aux 30 jours actuels pour l’enquête publique, ou d'un mois de plus si l’avis de l'autorité environnementale est requis.

Un dossier consultable : Le dossier de consultation sera mis à disposition du public principalement par voie électronique, et, sur demande, sur support papier dans les Préfectures, sous-préfectures, espaces France Services et dans la mairie de la commune d’implantation du projet.

Des réunions publiques nécessaires : Deux réunions publiques a minima seront organisées : une dans les quinze jours suivant le début de la consultation et une autre quinze jours avant la clôture de la consultation. Ces réunions sont obligatoires contrairement à la faculté laissée à la main du commissaire enquêteur dans les enquêtes publiques. C’est un minimum, car nous savons d’expérience que certains projets méritent un effort d’information et de dialogue plus grand pour faciliter leur acceptation. C’est l’essence même de notre métier que de faciliter les projets par le dialogue et une conviction à laquelle nous sommes attachés.

Une participation en ligne : Les observations et propositions soumises par voie électronique seront accessibles sur un site internet désigné. De même, les différents avis dont celui de l’Autorité environnementale s’il est requis, viendront alimenter le dossier en ligne et le compléter au fur et à mesure et donc améliorer l’information du public.

Une obligation de réponse ? Les réponses du porteur du projet lors de la consultation seront considérées comme faisant partie du dossier de demande, de même que les modifications du projet, à condition qu'elles n'en altèrent pas l'économie générale. Les réponses sont donc prises en compte dans la phase dinstruction de lautorité environnementale ou administrative. Le porteur de projet est invité à répondre aux différents éléments qui seront portés à sa connaissance pendant la consultation : avis des personnes publiques consultées ou associées, avis des services instructeurs, avis de l’AE, observations du public… Cette nouvelle procédure de participation se veut plus interactive mais rien n’est encore précisé sur les modalités exactes de mise en oeuvre. Les décrets d’application seront, en cela, très importants pour nos missions et anticiper les réflexions sur la manière nous pourront accompagner les porteurs de projets sur la gestion de ce temps long de consultation.

Un rapport et des conclusions : Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête devra rédiger un rapport et des conclusions motivées dans un délai de trois semaines après la clôture de la consultation du public. Ce délai est plus court que le temps laissé actuellement dans les enquêtes publiques (30 jours maximum avec la possibilité laissée au commissaire enquêteur de demander un délai supplémentaire), mais permet à lautorité décisionnaire (Préfet) de statuer, en théorie, dans un délai jugé plus raisonnable pour le porteur de projet.

Les évolutions sont majeures en matière de positionnement de la phase de participation du public et de la manière d’envisager des interactions entre le porteur de projet et les autres acteurs. Des délais plus longs sans dire ce qu’il est attendu des interactions possibles entre consultation et instruction, une grande part laissée au numérique qui est un facteur d’exclusion de certains publics… Ces dispositions vont-elles réellement dans le sens dun renforcement du dispositif participatif ? À nous d’en tirer le meilleur parti et d’imaginer comment faire vivre ces temps participatifs de manière qualitative.

 

Vers des débats publics territoriaux mutualisés

Une innovation de la loi : autoriser la mutualisation des procédures de débat public ou de concertation préalable pour plusieurs projets d'aménagement ou d'équipement, susceptibles de relever de la Commission nationale du débat public (CNDP), et qui sont envisagés sur un même territoire, limité et homogène pour les 8 années à venir.

Nous connaissons bien cette thématique à Etat dEsprit Stratis. Nous travaillons par exemple sur plusieurs projets de la région de Dunkerque : implantation de l’EPR2 de Gravelines, de projets liés à la décarbonation, de gygafactories de batteries et de recyclage de composants.

Un constat simpose dans la remontée dinformations que nous avons des Maires et de notre analyse du contexte local : beaucoup de projets pour un même territoire, entraînent un manque de clarté dans la succession de concertations et une baisse de la participation du public et des associations, lassés par la multiplication des réunions publiques.

Ces débats publics mutualisés donnent certes loccasion davoir une vue densemble des évolutions dun territoire et de bien analyser les synergies entre les projets. En revanche, dans un tel cadre, on aura du mal à traiter lintégralité des aspects économiques, environnementaux, sociaux, politiques, financiers de chaque projet.

Il convient de noter que cette décision peut se prendre sur un « territoire délimité et homogène » notion qui sera spécifiée par un décret pris Conseil d'État. Là encore, les débats seront vifs et les demandes des collectivités pour être potentiellement désignées nombreuses. La concurrence des territoires se joue aussi sur le terrain industriel et de lemploi qui laccompagne.

Le risque est naturellement de créer des débats publics attrape-tout qui permettraient de mettre dans le même sac X projets industriels de nature et de temporalité différentes. Nous ne doutons pas que certaines collectivités ou maître d’ouvrage apprécieront ce package participatif, les citoyens seront-ils gagnants ? On peut se poser la question.

 

La mesure limitant les délais pour les ENR retirée

Un dispositif de la loi a été retiré… celui concernant la réduction des délais dans les zones d'accélération des énergies renouvelables, sujet toujours sensible dans les territoires, en particulier pour les éoliennes et certains parcs photovoltaïques.. Ainsi, un article a un temps été envisagé visant à limiter les délais dinstruction des demandes dautorisation environnementale pour les projets d’énergies renouvelables situés en zone daccélération. Ce dispositif a été supprimé car une directive européenne sur les énergies renouvelables, dite « RED III » va prochainement être transposée dans notre droit national.

Celle-ci demande que  « Les États membres veillent à la participation du public en ce qui concerne les zones d'accélération des énergies renouvelables […], y compris en recensant le public touché ou susceptible d'être touché par ces plans » et que « Les États membres promeuvent l'acceptation par le public des projets liés aux énergies renouvelables grâce à une participation directe et indirecte des communautés locales à ces projets. ». On a donc une ambition participative… à voir comment cela se traduira dans les faits.

Une disposition sera toutefois appliquée car la Directive prévoit que la question transfrontalière devra être mieux prise en compte. Pour Dunkerque, par exemple, nous avons à lesprit les prises de position belges sur le projet de parc d’éoliennes en mer, dans une zone directement frontalière avec la Belgique. Nous irons, ce qui est encore assez rare, vers des dispositifs participatifs touchant plusieurs pays.

Comme souvent, cest à lusage que lon pourra évaluer la qualité et la pertinence de la loi. Lambition gouvernementale est daccélérer la réalisation de projets « verts » tout en renforçant lesprit participatif. Le risque étant que les projets concernés soient peu connus, mal compris et mobilisateurs doppositions structurées susceptibles de faire capoter le projet. On a tous en tête laéroport de Notre-Dame des Landes qui a été abandonné après un débat public et une consultation qui donnait une majorité à la réalisation du projet.

La parole à… Marie-Céline Battesti, présidente de la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs.

Image retirée.

Marie-Céline Battesti, quel regard la Compagnie porte sur la loi sur l’industrie verte ?

La CNCE s’est beaucoup mobilisée sur ce projet et avait d’ailleurs contribué au rapport qui est son fondement - le rapport Guillot sur le thème de simplifier et accélérer les implantations économiques en France.

Si la possibilité d’une parallélisation est tentante entre instruction de la demande d’autorisation environnementale et participation du public, encore faut-il savoir ce qu’il est attendu de cela au-delà du simple gain de temps qui n’est pas, à notre avis, substantiel. Quels sont les gains attendus en matière de dialogue territorial dans cette parallélisation ? Le projet ne le dit pas et c’est, à notre avis, un de ces points faibles.

La CNCE a fait valoir qu’il était contre productif en matière de participation citoyenne de créer une énième procédure faisant figure d’exception et dérogeant aux principes inscrits dans le Code de l’Environnement au sein du titre II consacré à l’information et participation des citoyens. Cette nouvelle procédure dont le nom « consultation » donne le ton s’insère dans les procédures liées aux procédures administratives. La CNCE a fait valoir qu’il était plus intéressant que l’enquête publique, procédure connue, offrant de vraies garanties et ayant une jurisprudence abondante et donc maîtrisée, soit ajustée pour permettre de répondre aux ambitions de la loi industrie verte.

La CNCE, sans être opposée au texte, note un recul de l’enquête publique dans son champs d’application bien que la nouvelle procédure de consultation lui ressemble beaucoup. Elle a beaucoup oeuvré pour que cette procédure de consultation offre des garanties telles que la désignation de commissaires enquêteurs seuls ou en commission par les tribunaux administratifs (les premières versions du texte prévoyait une désignation par les Préfets, juges et parties), le maintien de possibilités de participation en présentiel pour ne pas être en tout numérique et la rédaction, in fine, de conclusions motivées là où les rédacteurs ne voulaient qu’une synthèse.

 

Le cumul études/enquête publique est-il un risque pour la compréhension du projet ?

La création d’une nouvelle procédure de participation avec de nouveaux délais, dérogatoire aux règles générales et uniquement centrée sur les autorisations environnementales, est déjà, en elle-même, un source de difficulté pour la bonne compréhension des processus participatifs par le public.

La parallélisation semble donner plus de temps au public pour consulter le dossier qui est, il faut l’avouer, de plus en plus complexe et conséquent. Ceci semble être de nature à permettre au public de mieux s’en approprier les enjeux. Cependant, le fait que les avis soient connus au fur à à mesure de leur délivrance dont notamment l’avis de l’Ae est un défi en matière d’information. A l’instant t, le public n’aura pas les mêmes éléments à sa disposition pour participer. Il est à craindre que seul le dernier mois de consultation soit réellement exploité pour ce dialogue voulu entre le public et le porteur de projet ce qui semble difficilement compatible avec une remise en questions des options et la possibilité, pour le porteur de projet, de faire évoluer son dossier.

De plus, aucun dispositif n’est prévu (contrairement à l’enquête publique) pour stopper la participation et la reprendre afin de permettre au porteur de projet de reprendre son dossier suite à un avis soit des services instructeurs, soit des personnes publiques consultées, associées ou de l’Ae, remettant en question certains de ses aspects ou certaines lacunes. Idem en cas d’avis du public pointant un défaut important dans le dossier ou la connaissance des lieux.

La CNCE voit, dans ce texte, un défi pour les commissaires enquêteurs : celui de faire vivre un temps long de participation et d’échange alors que son rôle n’est pas clairement défini. La CNCE a proposé que le CE soit un acteur de ce dialogue en regroupant les questions et les thèmes au fur et à mesure de leur versement au dossier, en invitant le porteur de projet à répondre, en portant à la connaissance du public la teneur des avis et des réponses du porteur de projet. Il nous semble essentiel d’organiser ce temps de consultation pour en faire un vrai moment de démocratie participative y compris pour que les services instructeurs puissent se saisir des observations du public et en nourrir leur mission.

 

Quel aspect va selon-vous le plus évoluer dans cette nouvelle version des enquêtes publiques liées à la loi ?

Nous aurions bien aimé que cela soit effectivement une évolution de l’enquête publique mais cela n’a pas été le cas.

Toutefois, la CNCE note que cette nouvelle consultation semble vouloir instaurer un dialogue plus direct entre porteurs de projets et public à travers notamment les 2 réunions obligatoires. Ce sont de vrais temps de démocratie participative qu’il faudra savoir mettre à profit et autour desquels il va falloir savoir mobiliser les publics.

Nous allons être attentifs à la façon dont les différents acteurs vont se saisir de cette nouvelle procédure voulue plus interactive mais aussi plus axée sur le numérique pour en tirer les meilleurs enseignements.

Il nous apparaît probable que les porteurs de projets ne seront pas enclins à répondre au fur et à mesure de la consultation pour des raisons notamment juridiques au regard du risque de génération de nouveaux contentieux. Dans la procédure d’enquête publique, ce contradictoire arrive après la consultation avec, comme support, le procès-verbal de synthèse dressé par le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête auquel répond quasi-systématiquement le porteur de projet. La nouvelle procédure n’offre pas, à ce stade, cette possibilité. Il est à craindre que nous ayons finalement moins de réponses à nos questions et que le public soit, de fait, lui aussi moins bien informé de la manière dont ses observations ont été prises en compte.